Première égalité

Publié le par Pruneau

Mes babillages d'hier sur la Bibliothèque avaient une origine : ce matin, mon ancien colloc (Nick) et moi-même avions rendez-vous avec la bibliothèque de Queen's pour consulter The Whestone of Whitte de Robert Recorde, un cours de mathématiques datant de 1557. À la manière socratique, Recorde y explique des règles de base de calcul. Grand partisan de la mnémotechnique, il propose même des poèmes de sa composition. Par exemple, savoir si le résultat d'une soustraction sera positif ou négatif requiert un poème de quatre strophes, pas moins.

L'intérêt de ce livre, et la raison pour laquelle nous voulions le consulter, est qu'il contient le premier signe = de l'Histoire. Jusque-là, les mathématiciens écrivaient "ce qui est égal à" en toutes lettres, ou une autre périphrase ; certains petits malins utilisaient l'abréviation æ (pour æqualis). Comme nous l'explique Recorde, rien ne saurait être plus égal que deux lignes de même longueur ; cette notation est donc la meilleure qui soit (et comme tout l'ouvrage s'articule autour d'un discours maître-élève, l'élève s'empresse de louer son maître pour cette innovation hors du commun - pour une fois, il a raison). Pour bien enfoncer le clou, l'abréviation utilisée n'est pas =, parce qu'on risquerait de ne pas la voir. Ça ressemble plutôt à =====. Deux très longues lignes, qui sont décidément d'égale longueur. De même, plus et moins s'écrivent respectivement --+-- et -----

Recorde ne s'était pas rendu compte que sa notation pouvait servir pour noter le résultat d'une opération (2+2=4) ; il l'utilise uniquement pour des équations à résoudre ("14x --+-- 15 ===== 71" est la première utilisation du symbole, sauf qu'il n'appelle pas son inconnue x).

Nous pensions passer une petite demi-heure à regarder le symbole, mais le livre entier était en fait passionnant et nous a occupés pendant 2 h 30, jusqu'à ce que nos ventres aient raison de nous. C'était impressionnant de voir que certaines choses qui nous paraissent évidentes nécessitaient d'être explicitées pour que le lecteur les comprenne bien. Ce "nous" n'est pas limité à ceux qui font des maths : il y a littéralement un chapitre entier pour expliquer que "2-5" donnera un résultat négatif, de même que "-5+2". Et trente pages plus loin, il donne autant de détails quand il s'agit de faire des opérations complexes comme extraire une racine cubique à la main.

De même que la notation en était à ses balbutiements, on sent que les différents auteurs cherchaient à imposer leur vocabulaire. Recorde tente ainsi de nous faire dire zenzike pour carré, zenzizenzike pour puissance 4 et zenzizenzizenzike pour puissance 8.

Malheureusement, les photographies des vieux livres sont interdites. De même que poser les vieux livres à même une table (il faut un support spécial, en mousse) ou garder un livre ouvert avec ses mains (on utilise une ficelle remplie de plomb pour garder la page ouverte, ça évite les marques de doigts). Les doigts sont autorisés pour tourner les pages.

Publié dans Oxford

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K
Courage, encore 9
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